Je l'expliquais dans mon article précédent précédent, colorier, ça s'apprend. Par conséquent ça s'enseigne.
À mon sens il est souhaitable de respecter certaines étapes du développement normal/habituel (bien entendu chaque enfant est différent) et de se rappeler qu'il est inutile et même délétère de vouloir les accélérer.
Dans les crèches et les écoles maternelle il existe souvent une tendance à repousser la frustration engendrée par les compétences encore très réduites des petits. On a alors parfois la volonté de "fabriquer du beau". Découper des formes après barbouillage donne l'illusion d'une excellente maîtrise technique du tout petit. Attention à ne pas valoriser outre mesure ce travail de l'adulte qui pourrait "écraser" l'enfant en construction qui a besoin d'occasions de s'entraîner et ce sans la pression d'un modèle encore inatteignable par lui sans aide.
Progression "naturelle" du savoir-colorier, avec des âges approximatifs
Laisser une trace:
Entre 1 et 2 ans si l'enfant bénéficie dun milieu dans lequel un minimum de matériel est mis à sa disposition, le bébé manipule des "outils scripteur" et prend conscience progressivement qu'il laisse une trace. Petit à petit, il découvre qu'il peut contrôler cette trace.
En particulier, il s'aperçoit qu'il peut choisir quelles couleurs utiliser. Généralement les bambins ont alors à cœur d'utiliser toutes les couleurs à leur disposition.
NB: on peut sans attendre demander au génie en herbe de reboucher et ranger les feutres après usage, on s' épargnera ainsi bien des tracas plus tard.
Gribouiller à l'intérieur d'une forme :
C'est souvent quand l'enfant a une trentaine de mois qu'il prend goût à orner les images à colorier qu'on lui propose de magnifiques traits colorés qui ne ressemblent pas encore à des applats de couleurs. Il peut être intéressant d'en profiter pour développer le langage en faisant décrire l'image à l'enfant pour ne pas se contenter de l'immédiateté du geste. Mais pas de panique, à ce stade, les enfants sont très fiers de faire "vrrrroum vroummm le feutre" en passant 4 secondes sur chacune des jolies pages du carnet de coloriage qu'on lui a offert, et c'est bien normal.
Remplir une forme qu'on a soi même tracée de façon de plus en plus aboutie. Cette étape arrive généralement au cours de la petite section.
Remplir un contour imposé... Le coloriage à proprement parler apparaît à des âges très différents. On observe des enfants, souvent déjà habitués à colorier, qui sont déjà très appliqués à leur arrivée en maternelle et d'autres qui ne maîtriseront cette activité que 12 voire 18 mois plus tard. À mon sens, rien ne sert de courir, mais il est souhaitable que les élèves terminent leur moyenne section en sachant correctement colorier. D'ailleurs à partir de la grande section et jusqu'à la fin de leur scolarité, les élèves seront confrontés à des tâches dans lesquelles le coloriage sera un moyen de codage et non un objectif en lui même. De même qu'une écriture manuscrite malhabile peut handicaper une scolarité, l'incapacité à colorier proprement peut devenir un véritable problème. (j'ai personnellement plusieurs fois perdu des points à des épreuves jusqu'au lycée à cause du coloriage !)
En parallèle de l'étape précédente : l'utilisation de formes/pochoirs peut être encouragée, d'abord en présentant le matériel de façon très guidée puis en le laissant à disposition aux élèves qui rempliront des formes diverses de façon de plus en plus autonomes. Cela leur permettra aussi plus d'aisance avec le matériel de tracé géométrique quand le moment sera venu.
Je me permets ici une digression sur les formes à dessin "Montessori"... Ces dernières sont très grosses et colorier à l'intérieur est malaisé. Personnellement je préfère les employer autrement que dans une progression de coloriage.
De l'importance de la consigne
Souvent, le coloriage étant considéré comme une activité pauvre et honteuse, personne ne prête attention à la consigne. Les enfants savent plus ou moins, souvent par habitude et par imitation, qu'il "ne faut pas laisser de blanc". Cela pose d'ailleurs problème lorsqu'un élément devrait rester blanc... D'où le nombre conséquents de bonshommes de neige qui deviennent "bleu-la-reine-des-neiges" dans le meilleur des cas, quand ils ne sont pas totalement repeints de couleurs aléatoires.
Préciser et varier la consigne peut se révéler beaucoup plus intéressant non seulement pour faire progresser les compétences techniques des élèves mais aussi pour travailler la perception des couleurs ou encore le vocabulaire.
Par exemple on peut imposer des couleurs aux élèves mais aussi leur demander de les choisir :
--- en fonction de considérations réalistes.
--- en fonction de critères esthétiques, notamment dans le cas de figures géométriques.
Les outils, des pires aux plus intéressants :
à éviter :
--Tout ce qui ne permet ni préhension correcte, ni précision : les très gros feutres, les pinceaux brosses énormes...
--Les feutres trop gros ou au contraire trop fins pour la surface.
peu intéressants sur le plan moteur :
-- les feutres ont de nombreux avantages. Ils sont pratiques et permettent d'obtenir sans efforts des couleurs vives. Cependant ils ne permettent pas de travailler plus finement sur la pression des doigts pour obtenir des zones plus ou moins foncées. On peut difficilement faire des mélanges avec. Autre problème, la couleur passe à travers le papier insuffisamment épais. Impossible donc de l'utiliser dans les cahiers ou sur des feuilles recto-verso. Sans parler du problème des coloriages troués par le surplus d'encre ni du fait qu'ils sèchent vite et que cela crée beaucoup de frustrations.
Plus appropriés dans la plupart des contextes :
--les crayons de couleurs... La base. Attention cependant à leur qualité (certaines marques ne permettent pas de produire de couleurs assez marquées) et à ce qu'ils restent bien taillés.
--Bien entendu les craies grasses, les crayons à la cire, les pastels... Sont plus adaptés à certaines séances d'arts plastiques.
--Pour les tous jeunes enfants, il peut être intéressant de proposer des outils de "gribouilles" spécifiques comme des craies en forme de caillou (achetées telles quelles ou fabriquées) ou de la peinture au doigt (les "ardoises à eau" qui permettent de laisser une trace éphémère juste en mouillant une surface sont très utiles pour des séances réjouissantes et peu salissantes
Les supports, des pires aux meilleurs
À éviter :
-Les coloriages "industriels" dont les sujets sont tirés de la culture de masse (Pat patrouille, héros Disney,...) n'ont selon moi pas leur place à l'école. Même pour la maison je les trouve inappropriés. Pas de valeur esthétiques, de trop larges zones à colorier qui favorisent les mouvements "d'essuie glace"...
-par pitié évitez également tous les coloriages générés par IA. (je développerai si vous voulez même si les raisons m'en paraissent évidentes)
Surcotés à mon avis:
-Les supports géants qui permettent un travail collectif. Très amusants en famille, aux fêtes d'anniversaires,.. Mais n'ont que peu d'intérêt lorsqu'on les donne en classe avec comme objectif de produire un travail grand format spectaculaire. Lorsqu'ils sont sous forme de grande affiche au sol, ils ne permettent pas une posture correcte et lorsqu'ils sont découpés en feuille a4, l'élève n'a qu'un rôle d'ouvrier spécialisé qui remplit de couleur son petit rectangle sans en retirer grand chose.
Plus intéressants :
-les images dans lesquelles les zones sont bien définies et ont une taille adaptée : l'enfant doit pouvoir colorier à peu près toute l'image en bougeant les doigts et non les poignets. Les zones ne doivent pas non plus être trop réduites, sinon le résultat sera laid et le travail trop long.
-les images foisonnantes dont les détails sont intéressants, permettent d enrichir le vocabulaire des élèves et leur sens de l'observation. Les images qui permettent un lien avec d'autres apprentissages, les adaptations d'œuvres d'art.
-les images séquentielles, qui peuvent être utilisées jusque dans les grandes classes notamment pour travailler sur la coherence... Il est rare qu'un personnage change 3 fois de pull en promenant son chien...
Enseigner le coloriage à partir de la tps. Une progression generale
Tps-ps :
Barbouiller librement !
Utiliser progressivement des outils plus précis. Valoriser les progrès
"ooooh la feuille de Bidule n'est pas percée, il a donc utilisé juste la bonne quantité de couleur, bravo Bidule ! "
"aaaaah BRAVO Trucmuche, tu as mis de la couleur vraiment partout, je ne vois plus la couleur de ton papier"
Repérer dans les dessins libres (cf cet article sur le dessin libre) le moment où le coloriage spontané apparaît, le valoriser auprès de toute la classe dès qu'on le constate chez un élève.
À partir de la Ps : guider progressivement le geste vers moins d'amplitude (essuie glace) et plus de mouvements des doigts circulaires.
Au risque de se répéter... Je pense que valoriser les progrès de chacun auprès de l'ensemble du groupe est plus efficace que d'évaluer à répétition individuellement. En outre ce qu'il y a de pratique dans l'évaluation du coloriage comme avec toutes les activités de graphisme c'est qu'elle peut se faire discrètement simplement en observant les travaux des élèves.
Fin de PS-Ms.
-distinguer l'intérieur et l'extérieur d'une forme. Remplir l'intérieur d'un tracé et seulement l'intérieur...
-respecter un code couleur très simple. D'abord un code logique ("le tronc de l'arbre en marron, les feuilles en vert") puis des codes arbitraires ("Les triangles en jaune, les ronds en violet")
-coloriages abstraits, respecter des règles qui font travailler la logique comme "ne colorie pas de la même couleur 2 zones contiguës (oui bon lorsqu'on s'adresse aux enfants on dit plutôt "2 cases qui se touchent") "
-de plus en plus d'exigences techniques. Les" barbouillages" ne seront plus tolérés lors des travaux qui demandent de colorier et ils disparaîtront d'eux-mêmes (du moins dans presque tous les cas) dans les compositions libres.
Fin de Ms-gs:
-l'enseignant n'accepte plus du tout les zones "multicolores" ni les couleurs "impossibles". Demander de recommencer une fois ou deux suffit généralement.
-les coloriages demandent de plus en plus de temps d'attention
-travail sur les camaïeus
-travail sur les textures (on sort du coloriage pur et simple mais cela en est un prolongement)
-utilisation plus régulière de coloriages codés de plus en plus complexes
En élémentaire, la progression continue. Il faut à mon avis reprendre à chaque début d'année les gestes fondamentaux : faire bouger les doigts pour remplir la surface à l'aide de petits mouvements circulaires jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de vide.
Au cycle 3 on peut ajouter un élément supplémentaire en demandant de faire varier la pression sur l'outil à l'intérieur d'une même zone, afin de faire apparaître des zones plus claires ou plus foncées et de créer ainsi un effet de relief (comme pour le travail sur les textures, on dépasse ainsi le simple coloriage)