NB: colorire est un verbe du quatrième groupe à sachoir par cœur.
La tendance du coloriage à tout faire
Proposé très fréquemment dès la crèche, en famille comme en collectivité, d'autant plus facile à mettre en place que les outils contemporains le rendent peu cher et peu salissant, le coloriage est devenu une activité également pratiquée par les adultes, comme en témoignent les rayons remplis de livres de coloriages "zen" de plus ou moins bonne qualité.
Pourtant, il reste souvent mal maîtrisé des élèves, même parmi les plus performants. Il n'est pas rare de voir des enfants déjà grands qui barbouillent de grands gestes "d'essuie-glace" les surfaces blanches, prenant et mélangeant les coloris sans même observer l'effet produit. On obtient parfois encore en élémentaire des personnages à la peau moitié bleue moitié mauve dont le teint déborde sur la chemise et sur le gazon, et l'auteur du grabouilla répond généralement à l'adulte mécontent, sur un ton d'incompréhension profonde et non feinte "ben quoi, j'ai colorié ?"
J'ai fait moi-même partie de ces élèves qui colorient comme des chacals, considérant que remplir une surface de couleur n'est ni amusant ni intéressant. J'étais pourtant une élève "scolaire" et soucieuse de répondre aux exigences des adultes. En outre, le dessin et la peinture me passionnaient déjà. Mais j'ai passé 25 à 30 années de ma vie avant de percevoir ce que pouvait apporter de "satisfaisant" (mot devenu à la mode en même temps que les livres de coloriages pour adultes) le remplissage de zones pré-dessinées.
La honte du cahier journal
Il faut dire que le coloriage est considéré à l'école comme l'activité "nulle" par excellence. Un enseignant non remplacé ? " Pffff ils feront des coloriages au fond de la classe". Résumer des temps d'activités périscolaires peu qualitatifs ? "bah ils font des coloriages dans le préau quoi."
Besoin d'une activité de délestage peu contraignante ? "bof, file leur des mandalas à colorier ça ira bien"...
Pourtant le coloriage, est une compétence qui leur servira même jusqu'au baccalauréat (s'il continue à exister) lors de l'épreuve de cartographie.
Que gagne-t-on à savoir colorier ?
Contrairement à ce que l'on pourrait penser d'une activité scolaire qui demande d'utiliser papier et crayon, colorier n'apprend pas à savoir écrire, pour les mêmes raison que l'écriture est différente du dessin. Le coloriage met en jeu encore d'autres compétences.
Colorier n'est pas non plus en soi, quitte à faire de la peine à bien des collègues une activité d'expression artistique. En effet, le "colorier" ne fait que remplir (généralement, en outre, avec des contraintes formelles assez fortes) un dessin imposé, photocopié.. L'exercice ne laisse donc que peu de place à la créativité et à l'expression. Il ne permet pas aux enfants de s'exercer à représenter par le trait et peut même les enfermer dans une représentation étriquée de ce qu'ils sont capables de faire : pour beaucoup d'enfants, les arts plastiques se limitent à barbouiller de couleurs une zone désignée par l'adulte. "C'est plus joli comme ça." entend-on parfois, oubliant que l'objectif de l'école n'est pas la production mais l'apprentissage.
C'est pourquoi il est dommage de voir remplacer des séquences entières d'arts plastiques par des coloriages, fussent ils des coloriages géants dont chaque élève prend en charge un morceau. Même si l'ensemble "rend bien" grâce au choix judicieux des couleurs par le professeur, les élèves n'en retirent individuellement pas grand chose en terme d'apprentissages ni techniques, ni esthétiques, ni culturels.
En revanche, colorier permet de
- manier correctement l'outil scripteur et son support.
-> colorier permet de s'attarder sur les couleurs de ce qu'on observe (éducation sensorielle, prendre conscience que les arbres ne sont pas mauves, etc) mais également d'affiner leur perception et le vocabulaire permettant de désigner les teintes et leurs nuances.
-> colorier permet aussi de prendre conscience de la façon dont fonctionne la perception des couleurs et de mémoriser les mélanges. (cf ma séance sur les melanges de couleurs au crayon) grâce aux coloriages, les élèves peuvent aussi tester les effets produits par les camaïeux ou par les contrastes à condition qu'on les aide à remarquer les différents effets produits (couleurs froides ou chaudes, vives ou pastelles, contrastées ou proches...)
- maîtriser des procédés techniques plastiques pour s'exprimer de façon plus efficace par le dessin mais aussi pour comprendre de façon plus fine comment fonctionne une image. C'est pourquoi le choix des supports à colorier est primordial.
J'ai prévu de rédiger un autre article pour expliquer comment enseigner le coloriage, avec des pistes de progressions, si cela intéresse quelques uns d'entre vous.
Très intéressant et très juste. Je suis remplaçante cette année. J'ai fait des séances d'apprentissage du coloriage de la MS au CM2. <br />
Il est bien dommage de constater que de nombreux collègues considèrent la capacité à colorier comme innée ou qu'elle doit être développée par les parents.
Merci pour cet article passionnant ! je suis mille fois partante pour un article sur comment enseigner le coloriage !<br />
Comme vous le dites très bien dans votre article, j'ai cette année des enfants de 5-6 ans qui font les "essuie-glace"... Et je veux bien des pistes pour y remédier !